Les décisions annoncées lors du Conseil des ministres du 6 novembre 2024 pour la redynamisation du tourisme sénégalais s'inscrivent dans la lignée d'un secteur qui souffre, depuis des décennies, d'un manque criant de vision stratégique. Cette absence d'innovation se confirme une fois de plus à travers une approche superficielle et déconnectée des véritables enjeux structurels du secteur. L'examen des mesures démontre pourquoi ces orientations, bien qu'apparemment ambitieuses, ne constituent qu'un nouveau catalogue de solutions éculées qui ne répondent pas aux défis fondamentaux du tourisme sénégalais.

Des mesures qui perpétuent une gouvernance obsolète

Face aux défis actuels du tourisme sénégalais, l'Etat reste prisonnier d'une approche centralisée et bureaucratique, ignorant l'impératif d'une refonte complète du système de gouvernance. Les dispositions annoncées s'inscrivent dans la continuité d'une organisation qui a démontré ses limites depuis des années :

• La "redynamisation des organismes de promotion" est une énième tentative de raviver des structures inefficaces, alors que l'expérience de l'ASPT a démontré l'échec de ce modèle centralisé

• La "maîtrise stratégique des aménagements" reste confiée à la SAPCO, perpétuant une gestion top-down qui ne prend pas en compte les réalités locales

• Le renforcement de la police touristique apparaît comme une solution simpliste face aux enjeux complexes de sécurité et d'accueil

Des réponses inadaptées aux défis structurels

Les défis majeurs qui entravent le développement touristique du Sénégal, l'insalubrité, l'érosion côtière, le manque de compétitivité, la formation et la professionnalisation insuffisantes, l'insécurité et le harcèlement des touristes, la saisonnalité, la durabilité et l'intégration locale, ainsi que l'image et la promotion, nécessitent des solutions structurelles profondes. Or, les mesures annoncées ne font qu'effleurer ces problématiques.

• Sur l'environnement et les infrastructures

En matière d'érosion côtière, aucune stratégie claire n'est proposée pour faire face à ce phénomène qui menace sérieusement le tourisme balnéaire. L'amélioration du cadre de vie, bien que mentionnée dans les annonces, ne s'accompagne d'aucun moyen concret ni d'une approche systémique pour sa mise en œuvre effective. Quant à la question cruciale de l'insalubrité, qui impacte négativement l'image de la destination Sénégal, elle est à peine effleurée dans ces nouvelles orientations.

• Sur la compétitivité et l'accessibilité

Le simple réajustement du crédit hôtelier s'avère largement insuffisant pour résoudre les problèmes structurels de compétitivité-prix qui pénalisent la destination Sénégal. Face aux coûts d'accès prohibitifs, particulièrement dans le domaine aérien qui constitue un frein majeur pour les touristes potentiels, aucune mesure concrète n'est proposée. Plus déconcertant encore, l'accent est mis sur l'organisation d'un salon international du tourisme, une initiative qui apparaît prématurée tant que les défis fondamentaux d'accessibilité et de compétitivité ne sont pas résolus.

• Sur la formation et la professionnalisation

Le soutien évoqué à l'Ecole nationale de Formation hôtelière et aux centres de formation aux métiers du tourisme demeure particulièrement vague dans ses modalités de mise en œuvre et ses objectifs concrets. La simple intégration dans les dispositifs du 3FPT, si elle peut faciliter l'accès à la formation, ne garantit en rien une amélioration qualitative des compétences nécessaires au secteur. Plus préoccupant encore, on note l'absence totale d'une stratégie globale de professionnalisation, pourtant indispensable pour élever les standards de service et renforcer la compétitivité du tourisme sénégalais.

L'illusion d'un salon international

L'organisation d'un salon international du tourisme illustre parfaitement le décalage entre les mesures proposées et les besoins réels du secteur. Cette initiative rappelle l'échec du Salon du Tourisme, des Industries Culturelles et de l'Artisanat d'Art (TICAA) en 2010 et en 2011. Organiser un tel événement alors que les problèmes fondamentaux du secteur ne sont pas résolus revient à mettre la charrue avant les bœufs. En effet :

• Comment promouvoir une destination qui peine à offrir un cadre de vie attractif ?

• Quelle image donner aux professionnels internationaux face aux défis non résolus d'accessibilité et de compétitivité ?

• Comment justifier un tel investissement alors que les infrastructures de base nécessitent des améliorations urgentes ?

La nécessité d'une refonte complète

Ces mesures démontrent l'urgence d'une réforme en profondeur de la gouvernance touristique sénégalaise. Il est temps d'oser :

• Décentraliser la gouvernance touristique pour responsabiliser les collectivités locales

• Supprimer le ministère du Tourisme au profit d'une délégation interministérielle plus efficace

• Transférer les compétences de promotion aux collectivités locales qui connaissent leurs atouts, ainsi qu'à un Secrétariat d'Etat rattaché au Ministère des Affaires étrangères pour la promotion internationale, permettant ainsi de s'appuyer sur un réseau diplomatique dense pour le rayonnement du Sénégal à l'étranger.

• Mettre en place une véritable politique de développement durable du tourisme

Les mesures annoncées lors du Conseil des ministres du 6 novembre 2024 apparaissent comme une nouvelle occasion manquée de réformer en profondeur le secteur touristique sénégalais. Au lieu d'une vraie rupture avec les pratiques du passé, le gouvernement propose des solutions cosmétiques qui ne pourront pas résoudre les défis structurels du secteur. Une refonte complète de la gouvernance touristique, basée sur la décentralisation et l'autonomisation des collectivités locales, reste plus que jamais nécessaire pour faire du tourisme un véritable moteur de développement économique et social au Sénégal.

✔️ Communiqué Conseil des ministres du 6 novembre 2024
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✔️ Réinventer le tourisme sénégalais par une gouvernance innovante
👉🏾🔗 https://senegalinsights.com/themes/tourisme-au-senegal/reinventer-le-tourisme-senegalais-par-une-gouvernance-innovante