Le changement de régime au Sénégal en 2024 avait suscité l'espoir d'un nouvel élan pour le secteur touristique, pilier essentiel de l'économie nationale. La nomination de Mountaga Diao comme ministre du Tourisme en avril 2024 semblait annoncer le début d'une ère de dynamisme et d'innovation pour cette industrie stratégique. Cependant, six mois plus tard, le bilan s'avère déconcertant avec un ministre étrangement silencieux, aucune communication en Conseil des ministres, et une intervention présidentielle qui survient de manière inattendue à la veille des élections législatives.

Entre le premier Conseil des ministres du nouveau gouvernement, tenu le 9 avril 2024, et celui du 23 octobre 2024, le secteur touristique semble avoir été laissé en marge des priorités gouvernementales. Plus troublant encore, c’est le Président de la République lui-même qui, le 6 novembre 2024, à seulement quelques jours des élections législatives, s’est soudainement emparé de la question pour annoncer des mesures de relance dont la pertinence suscite des doutes.

Cette séquence politique inhabituelle, marquée par un long silence ministériel suivi d’une intervention présidentielle précipitée, soulève de sérieuses interrogations sur la gouvernance du tourisme au Sénégal. Comment expliquer cette paralysie au sein du ministère ? Pourquoi attendre le début de la saison touristique et la veille d’échéances électorales majeures pour agir ? Les mesures annoncées sont-elles réellement adaptées aux défis structurels auxquels fait face le secteur ?

I. Six mois de silence ministériel, un constat alarmant

Un mutisme inquiétant au sommet de l'Etat

L’analyse des communiqués hebdomadaires des Conseils des ministres, d’avril à octobre 2024, révèle une anomalie frappante avec l'absence totale d’interventions du ministre du Tourisme. Dans cette instance où chaque ministre est censé présenter les réalisations, identifier les enjeux critiques et proposer des solutions pour faire progresser son secteur, ce silence prolongé interpelle. Ce manquement est d’autant plus préoccupant qu’il survient à un moment où le secteur touristique aurait dû engager des actions décisives pour redresser et dynamiser l’économie fragilisée.

Les causes probables d'une inertie ministérielle

L'absence de communication du ministre du Tourisme en Conseil des ministres durant ces six mois peut s'expliquer par plusieurs hypothèses.

Une faible priorité politique semble donnée au tourisme. Le nouveau régime paraît reléguer ce secteur au second plan, privilégiant d’autres domaines jugés plus urgents. Ce choix stratégique, discutable, traduit une sous-estimation de l’importance économique du tourisme pour le Sénégal, bien qu’il représente une source majeure de devises et de création d’emplois.

Des dysfonctionnements institutionnels profonds pourraient également être en cause. Le secteur touristique, par nature transversal, souffre d’un manque de coordination entre les ministères concernés, comme ceux de l’Infrastructure, de l’Environnement et de la Sécurité. Cette fragmentation administrative limite la capacité du ministère du Tourisme à porter des projets cohérents et ambitieux.

Un déficit de leadership pourrait expliquer l’absence d’initiatives et de communications stratégiques, laissant entrevoir un manque de vision et de dynamisme au sein du ministère. Cette carence de leadership se traduit par une incapacité à mobiliser les acteurs du secteur et à définir une stratégie claire pour le développement touristique.

L’idée que l’absence de problèmes majeurs puisse justifier ce silence est aisément écartée. Les défis structurels du secteur, liés notamment à l’insalubrité, la compétitivité et la sécurité, auraient largement justifié une attention soutenue et des interventions régulières en Conseil des ministres.

Une désapprobation massive du public

Un sondage réalisé sur les plateformes sociales le 8 septembre 2024, cinq mois après la nomination de Mountaga Diao en tant que ministre du Tourisme, présente un bilan accablant de son action dans ce secteur. Les résultats sont sans appel : 46,67 % des répondants jugent l'impact de ses initiatives comme "plutôt négatif", un pourcentage identique le considère "neutre ou peu significatif", et 6,67 % vont jusqu'à le qualifier de "très négatif". Plus révélateur encore, aucune évaluation positive n’a été enregistrée, ce qui témoigne d’une insatisfaction généralisée face à l’inertie ministérielle.

Sondage : Sénégal Insights, septembre 2024
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II. Une intervention présidentielle qui pose question

Un timing politiquement suspect

L’annonce des mesures pour le tourisme lors du Conseil des ministres du 6 novembre 2024 suscite immédiatement des interrogations quant à son opportunité politique. Intervenant à seulement onze jours des élections législatives du 17 novembre, ce calendrier ne peut être interprété comme un simple hasard. Cette soudaine accélération, après six mois d’inaction ministérielle, semble davantage destinée à séduire l’électorat du secteur touristique qu’à répondre à une véritable volonté de réforme structurelle.

Un dysfonctionnement institutionnel manifeste

Même dans un régime présidentiel où le chef de l’Etat détient des pouvoirs étendus, la présence d’un ministre du Tourisme implique une délégation de responsabilités pour la gestion et la mise en œuvre des politiques du secteur. Si l’intervention présidentielle peut paraître justifiée après une longue période d’inertie ministérielle, elle soulève néanmoins des questions sur le fonctionnement même du ministère. Pourquoi avoir attendu si longtemps avant d’agir ? Pourquoi ne pas avoir remplacé plus tôt un ministre manifestement défaillant ?

Cette situation paradoxale, où l’intervention présidentielle apparaît nécessaire face à l’inaction mais problématique dans son timing, révèle un dysfonctionnement plus profond dans la gouvernance du secteur touristique. Elle souligne la nécessité d’une clarification des responsabilités et d’une révision structurelle, visant à supprimer le ministère et à instaurer une délégation interministérielle, afin d’éviter que de telles situations ne se reproduisent.

Des mesures à la crédibilité compromise

Le contexte et la forme de ces annonces présidentielles soulèvent des problèmes de fond.

Une préparation insuffisante

L’absence de travail préparatoire apparent au sein des instances ministérielles laisse craindre que ces mesures aient été élaborées dans l’urgence, sans consultation réelle des acteurs du secteur.

Un risque d'inefficacité

Des décisions prises en contexte électoral, sans diagnostic approfondi ni plan d’exécution détaillé au niveau ministériel, risquent de manquer leur cible et de ne pas répondre aux besoins réels du secteur.

Cette intervention présidentielle, bien que présentée comme une initiative pour relancer le secteur touristique, apparaît donc davantage comme le signe d’une gouvernance défaillante plutôt que comme une réponse véritablement adaptée aux défis du tourisme sénégalais. Elle illustre une confusion des rôles institutionnels qui nuit à l’efficacité de l’action publique.

III. Des mesures contestées et une opportunité manquée

Les mesures annoncées le 6 novembre 2024 traduisent une approche dépassée, insuffisante pour relever les défis fondamentaux du secteur touristique sénégalais. Au lieu de rompre réellement avec les pratiques du passé, le gouvernement se contente de recycler des solutions qui ont déjà prouvé leurs limites, offrant des réponses superficielles incapables de traiter les problèmes structurels de l’industrie. Cette série de mesures, marquée par des lacunes préoccupantes et une vision stratégique déficiente, représente une occasion manquée de transformer en profondeur le secteur touristique au Sénégal.

L’absence d’une approche globale, qui intégrerait les dimensions environnementales, économiques et sociales du tourisme, compromet sérieusement les chances de réussite de cette tentative de relance. Pour une analyse approfondie des insuffisances de ces mesures ainsi que des solutions nécessaires pour revitaliser le tourisme sénégalais, nous vous invitons à consulter nos contributions ci-dessous.

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Un secteur en quête d'une véritable refondation

La séquence politique observée entre avril et novembre 2024 illustre parfaitement ce qu’il ne faut pas faire en matière de gouvernance touristique. Elle conjugue tous les aspects d’une gestion défaillante : six mois de silence ministériel, une intervention présidentielle motivée par des considérations électoralistes et des mesures qui prolongent des schémas obsolètes.

Les dysfonctionnements relevés, qu’il s’agisse de l’inertie ministérielle ou de la centralisation excessive du pouvoir décisionnel, font peser de lourdes menaces sur l’avenir du tourisme au Sénégal. Dans un contexte international hautement concurrentiel, où les destinations touristiques doivent sans cesse innover, le Sénégal ne peut se permettre de maintenir une gouvernance aussi inadaptée. Le risque est réel de voir le pays perdre progressivement en attractivité et manquer les opportunités de développement économique offertes par le secteur touristique.

L’heure est venue de dépasser les demi-mesures pour engager une refonte complète de la gouvernance touristique. Plusieurs orientations méritent d’être explorées de manière urgente :

• La décentralisation effective de la gouvernance touristique pour responsabiliser les collectivités locales.

• Une restructuration du cadre institutionnel s'impose, envisageant la suppression du ministère du Tourisme au profit d'une délégation interministérielle placée sous l'autorité du Premier ministre. Cette transformation favoriserait une structure plus souple et efficiente, assurant une meilleure coordination transversale entre les différents ministères et parties prenantes concernés par le développement touristique. Elle permettrait de mobiliser efficacement les ressources et compétences nécessaires tout en facilitant l'autonomie des territoires dans la gestion de leur développement touristique.

• La dissolution de l'Agence Sénégalaise de Promotion Touristique (ASPT) s'impose en raison de l’hyper centralisation de la promotion touristique à son niveau, jugée inefficace pour répondre aux besoins variés des territoires. Cette réforme permettrait de transférer les missions de promotion aux collectivités locales, mieux placées pour valoriser leurs atouts spécifiques, ainsi qu'à un Secrétariat d'Etat rattaché au ministère des Affaires étrangères pour la promotion internationale. Ce dernier pourrait s'appuyer sur le réseau diplomatique afin de renforcer le rayonnement du Sénégal à l'étranger.

• L’élaboration d’une véritable politique de développement durable du tourisme.

Le tourisme sénégalais dispose d’atouts indéniables qui ne demandent qu’à être valorisés. Encore faut-il qu’une volonté politique s’inscrive dans une vision stratégique cohérente, portée par une gouvernance moderne et efficace, et non dans des annonces guidées par des échéances électorales.

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