Un salon qui dévoile les failles du tourisme sénégalais

Le Sénégal vient d'organiser son premier Salon International du Tourisme du Littoral et de la Croisière (SATOLIC), une initiative qui révèle le décalage persistant entre les ambitions affichées et les réalités du terrain. Si cet événement mérite d’être salué pour sa volonté d’innovation, il souligne surtout l’urgence d’adopter une approche plus pragmatique et systémique du développement touristique dans notre pays.

Le Sénégal à la traîne, des chiffres qui interpellent

Un chiffre illustre parfaitement la situation actuelle. Le Sénégal ne représente que 0,03 % du marché mondial des croisières, avec à peine 10 000 passagers par an. Cette réalité démontre le décalage avec la grandeur des discours et l'ampleur des moyens déployés pour ce salon. A titre de comparaison, le Cap-Vert accueille 40 000 passagers annuels, soit quatre fois plus que le Sénégal. La réussite de ce pays voisin dans le secteur du tourisme est remarquable. Parti de 45 000 touristes en 1997, le Cap-Vert accueille aujourd'hui plus d'un million de visiteurs par an. Cette croissance exceptionnelle, réalisée par un pays situé à seulement 570 kilomètres de nos côtes, attire l'attention sur le potentiel du tourisme sénégalais, disposant d'atouts encore plus diversifiés. Cela montre que notre contre-performance n'est pas une fatalité, mais plutôt le résultat de choix stratégiques discutables.

La croisière inter-Etats, une ambition déconnectée des réalités

Le projet phare annoncé lors du SATOLIC, une croisière inter-Etats reliant le Sénégal, la Gambie, la Guinée-Bissau, la Mauritanie et le Cap-Vert, illustre cette fuite en avant caractéristique. Comment envisager sérieusement un tel projet alors que nos infrastructures portuaires de base sont encore déficientes ? La coordination entre pays aux niveaux de développement touristique disparates pose également question, sans parler des défis d'harmonisation réglementaire et de sécurité maritime.

Un littoral en péril, l'angle mort du développement touristique

Ce qui est d'autant plus préoccupant, c'est que l’accent mis sur le tourisme littoral masque les nombreux défis auxquels nos côtes sont confrontées. Parmi ceux-ci figurent l'érosion côtière croissante, la pollution endémique, la gestion chaotique des déchets et une urbanisation mal maîtrisée. Ces problèmes structurels doivent absolument être résolus avant d'envisager un développement touristique ambitieux. Il est difficile de promouvoir des plages auprès des croisiéristes et autres visiteurs lorsque celles-ci sont en proie à l'érosion ou défigurées par les déchets.

L'hinterland, l'autre atout négligé du tourisme sénégalais

L'articulation entre littoral et hinterland, négligée dans le SATOLIC, révèle une vision parcellaire du développement touristique. Les touristes de croisière et du littoral sont naturellement intéressés par la découverte de l'intérieur du pays. Or, l'hinterland sénégalais souffre des mêmes maux structurels, tels que des infrastructures touristiques insuffisantes, le manque de formation et de professionnalisation des acteurs locaux, une compétitivité limitée, l'insalubrité et des difficultés d'accès. Sans une approche globale intégrant ces territoires, nous risquons de créer des enclaves touristiques déconnectées du reste du pays.

Les vrais défis masqués par les fausses priorités

Les véritables priorités se trouvent ailleurs. Avant de rêver aux paquebots de luxe qui n'apportent que peu de retombées aux populations locales et ne contribuent guère au rayonnement de la destination Sénégal, nous devons nous concentrer sur les fondamentaux en modernisant les infrastructures touristiques, en renforçant la formation professionnelle des acteurs du secteur, et surtout, en résolvant nos problèmes chroniques d'insalubrité dans l'ensemble du pays et d'érosion côtière sur notre littoral.

La refonte urgente de la gouvernance touristique, un impératif

Face à ces défis structurels, la réinvention du tourisme sénégalais par une nouvelle gouvernance s'impose comme une urgence absolue. Une refonte complète est nécessaire, avec la création d'une Délégation Interministérielle rattachée au Premier ministre pour assurer une coordination efficace de ce secteur transversal. Cette réorganisation implique la suppression du ministère du Tourisme et la dissolution de l'ASPT, dont les missions seraient redistribuées entre les collectivités territoriales pour la promotion nationale et un nouveau Secrétariat d'Etat au Tourisme, rattaché au ministère des Affaires étrangères, pour le volet international. Ce dernier s'appuierait sur notre réseau diplomatique pour renforcer la visibilité du Sénégal à l'étranger. Cette approche décentralisée permettrait une gestion plus efficace des problématiques locales, les collectivités territoriales étant plus proches du terrain et mieux placées pour relever les nombreux défis dont souffre le secteur.

Une gouvernance stérile, symbole d'un secteur au point mort

La gouvernance touristique actuelle est condamnée à la répétition d'événements sans suite, comme le montre l'histoire récente. L'échec du Salon du Tourisme, des Industries Culturelles et de l'Artisanat d'Art (TICAA), la multiplication de forums restés lettre morte comme le Forum de Dakar sur "Tourisme, industries créatives, infrastructures, au défi de la digitalisation et du développement durable", ou encore le Forum National sur le Tourisme Religieux, le Forum scientifique pour promouvoir le MICE en instance, les ateliers et panels d'experts se succèdent sans produire de réels changements. Les initiatives censées dynamiser le secteur s'accumulent sans résultat. Le TAAMU Sénégal, censé développer le tourisme intérieur, dont le site web a disparu, à l'image du portail officiel visitezlesenegal.com actuellement hors service, un symbole criant du retard pris dans la valorisation numérique de notre destination. Cette léthargie digitale se manifeste également à travers des plateformes web perpétuellement renouvelées sans qu'aucune d'elles ne transforme véritablement la donne. Cette valse d'initiatives s'accompagne de participations coûteuses aux grands salons internationaux, de lettres de politiques sectorielles aux résultats insignifiants, d'annonces spectaculaires comme les 100 milliards de garantie du FONGIP au secteur touristique et de conventions avec Air Sénégal SA, UCG, AIBD, CICES, Place du Souvenir, RENOPHUS, COR Akhloulalhi, Kalista Prod, Fédération Sénégalaise de Football, Sénégal Numérique SA, Monument de la Renaissance Africaine, Auchan, Office National Marocain du Tourisme, CIT, WAVE, SAPCO, Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), etc., pour promouvoir la destination Sénégal. Le code du tourisme peine à être mis en œuvre, contrairement à la Côte d'Ivoire, où il est opérationnel.
L'instabilité ministérielle, avec huit ministres en douze ans, tranche singulièrement avec la stabilité et l'efficacité observées dans des pays comme la Côte d'Ivoire, où le même ministre pilote depuis sept ans une transformation réussie du secteur. Cette instabilité chronique et l'accumulation d'initiatives sans suite ont des conséquences graves sur un secteur clé de notre économie, deuxième pourvoyeur de devises et important créateur d'emplois. Dans un pays confronté à un chômage endémique de sa jeunesse, où l'immigration clandestine apparaît comme l'unique espoir pour nombre de nos concitoyens, nous ne pouvons plus nous permettre cette gouvernance défaillante.

Le tourisme sénégalais, la grande désillusion

Le Sénégal touristique est devenu un champion des annonces et des événements qui ne débouchent sur rien, des discours en fanfare, tandis que la réalité du terrain demeure désolante. Le secteur, au lieu de prospérer, se dégrade jour après jour. Il est impératif d'adopter une approche sérieuse, audacieuse, et de réinventer le tourisme sénégalais afin de libérer son véritable potentiel. Il est grand temps de prétendre réellement devenir une destination majeure, capable d’accueillir aussi bien les croisiéristes que d’autres catégories de touristes. La réussite du Cap-Vert nous montre la voie, elle est le fruit d’une stratégie cohérente et progressive, et non d’une accumulation d’événements prestigieux qui n'ont pas d'effets concrets.

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