Le Maroc vient d'enregistrer une performance touristique exceptionnelle en 2024, atteignant un nouveau record historique de 14,6 millions de touristes à fin octobre. Cette réussite remarquable, qui dépasse en seulement dix mois le record de l'année 2023 entière, mérite une analyse approfondie, particulièrement dans l'optique d'en tirer des enseignements pour le développement touristique du Sénégal. Ce dernier, malgré ses atouts indéniables, peine à décoller et voit ses performances s’effriter inexorablement au fil des années.

La vision stratégique du Maroc et sa feuille de route 2023-2026

Des objectifs clairs et chiffrés

La feuille de route du tourisme marocain 2023-2026 se distingue par des objectifs ambitieux mais précis, à l'opposé des vagues intentions souvent énoncées dans la lettre de politique sectorielle du tourisme au Sénégal. Avec l'ambition de se hisser parmi les 15 meilleures destinations touristiques mondiales, le royaume, partant d'une base solide de 10,8 millions de touristes en 2022, vise désormais 17,5 millions de visiteurs d'ici 2026. Cette ambition s'accompagne d'importantes retombées économiques, notamment 120 milliards de dirhams (environ 7 200 milliards de FCFA) en recettes en devises et la création de 200 000 nouveaux emplois, répartis entre 80 000 directs et 120 000 indirects. Cette vision stratégique reflète une ambition réaliste et mesurable, bien éloignée des déclarations d'intention sans lendemain.

Une offre touristique structurée

Le succès marocain repose sur une offre touristique diversifiée et bien structurée, organisée autour de neuf filières thématiques. Parmi celles-ci, on retrouve l’océan et les vagues, la nature et la randonnée, le city break, la plage et le soleil, l’aventure dans le désert et les oasis, le tourisme d’affaires, les circuits culturels ainsi que le tourisme interne. Cette offre est enrichie par cinq filières transversales, notamment la gastronomie, les festivals, le développement durable, l’artisanat et l’hébergement alternatif.

Une gouvernance touristique efficace et des outils de pilotage

L'Observatoire du tourisme

L'Observatoire du tourisme marocain joue un rôle crucial dans le succès de la stratégie. Cette institution collecte et analyse les données du secteur, produit des indicateurs statistiques fiables et diffuse des informations stratégiques aux acteurs du tourisme. Son rôle de co-pilotage permet une prise de décision éclairée et un ajustement continu des stratégies, là où le Sénégal navigue souvent à vue, faute d'outils d'évaluation performants. Plus préoccupant encore, les institutions sénégalaises de promotion touristique, telles que la Direction de la Promotion Touristique (DPT) et l’Agence Sénégalaise de Promotion Touristique (ASPT), se révèlent incapables de mesurer l’impact réel de leurs actions sur le secteur, ce qui limite considérablement leur efficacité.

La Commission Nationale Interministérielle du Tourisme

La CNIT, présidée par le Chef du gouvernement, assure une coordination efficace entre les secteurs public et privé. Son action est renforcée par deux commissions spécialisées (aérienne et offre/demande) et 12 commissions régionales, garantissant une mise en œuvre cohérente sur l'ensemble du territoire.

Des dispositifs modernes de mise en œuvre

La Banque de projets touristiques, un outil révolutionnaire pour démocratiser l'investissement

Le ministère du Tourisme marocain et la Société marocaine d'ingénierie touristique (SMIT) ont lancé un outil avant-gardiste, la "Banque de projets tourisme". Cette plateforme digitale représente une initiative ambitieuse, destinée à stimuler l'investissement touristique, particulièrement auprès des jeunes entrepreneurs.

Le concept est remarquablement structuré, la plateforme propose actuellement plus de 200 projets types et vise à atteindre 600 projets à terme. Chaque projet est présenté sous forme d'un dossier exhaustif, incluant le montant d'investissement estimé, les projections de chiffre d'affaires, les indicateurs de rentabilité opérationnelle, ainsi que le nombre d'emplois potentiels à créer.

L'aspect le plus novateur de cette initiative réside dans son accessibilité, car les opportunités d'investissement varient de 100 000 dirhams à 10 millions de dirhams (soit de 6 millions à 600 millions FCFA), permettant ainsi à un large éventail d'investisseurs, des petits entrepreneurs aux grands investisseurs, de trouver des projets à leur mesure.

Cette plateforme simplifie considérablement le processus d'investissement. Elle se distingue par son interface intuitive, dotée d'un système de filtres permettant de rechercher les projets par région, type d'activité et filière touristique. Les fiches projets, détaillées et prêtes à l'emploi, offrent une véritable solution clé en main aux investisseurs potentiels.

Au-delà de la simple présentation d'opportunités, la Banque de projets propose un accompagnement complet, de la conception à la réalisation. Elle facilite notamment l'accès aux subventions étatiques et simplifie le parcours entrepreneurial. Couvrant l'ensemble des 14 filières thématiques et transversales définies dans la feuille de route touristique, cette initiative place l'innovation et la durabilité au cœur de son approche.

Cette démarche structurée et inclusive contraste fortement avec l'absence d'outils similaires au Sénégal, où l'accès à l'investissement touristique reste souvent un parcours du combattant pour les entrepreneurs locaux.

Le renforcement de la connectivité aérienne comme levier stratégique

Le Maroc a fait de la connectivité aérienne une priorité absolue de sa stratégie touristique, avec un objectif ambitieux de doubler sa capacité, passant de 6,3 millions à 12,6 millions de sièges d'ici 2026. Cette stratégie offensive se concrétise notamment par une multiplication des partenariats avec des compagnies aériennes internationales.

L'accord récemment signé avec Ryanair illustre parfaitement cette dynamique. La compagnie low-cost va intégrer Dakhla, qui deviendra son treizième aéroport marocain, à son réseau dès janvier 2025. Deux nouvelles liaisons directes relieront la perle du Sud à Madrid et à Lanzarote, avec deux fréquences hebdomadaires. Cette expansion s'inscrit dans le plus vaste programme hivernal jamais lancé par Ryanair au Maroc, comprenant plus de 1 000 vols hebdomadaires (+30% par rapport à l'hiver 2023) répartis sur 157 lignes, dont 36 nouvelles liaisons.

L'investissement de Ryanair est substantiel, avec 14 avions basés au Maroc, représentant un investissement de 1,4 milliard de dollars et soutenant plus de 7 000 emplois directs et indirects. La compagnie dessert désormais 13 villes marocaines, incluant Rabat, Marrakech, Fès, Agadir, Tétouan, Essaouira et Nador.

Cette politique de développement aérien diffère fortement avec la situation du Sénégal, qui, malgré son aéroport international moderne Blaise Diagne, rencontre des difficultés à optimiser sa connectivité aérienne. L'absence d'une stratégie claire pour attirer les compagnies aériennes, le manque de diversification des liaisons internationales et le faible développement du réseau domestique sont autant de facteurs qui limitent l'accessibilité et, par conséquent, l'attractivité de la destination.

Résultats et performance

Les résultats sont éloquents avec 14,6 millions de touristes à fin octobre 2024, ce qui représente une hausse de 19% par rapport à 2023. Cette croissance est soutenue tant par les touristes étrangers (+22%) que par les Marocains résidant à l'étranger (+16%).

Leçons pour le Sénégal et analyse critique

Comparaison de la gouvernance touristique

Le Sénégal gagnerait à s'inspirer de la gouvernance marocaine, particulièrement en matière de coordination interministérielle et de suivi statistique. L'absence d'un observatoire performant et d'une commission de haut niveau limite actuellement son développement touristique.

Les éléments manquants dans la stratégie sénégalaise

Le Sénégal doit d'abord résoudre ses défis fondamentaux tels que la salubrité, la sécurité, l'accessibilité, la qualité de l'accueil, ainsi que l'érosion côtière. La compétitivité des services et le rapport qualité-prix demeurent également des problématiques importantes.

S'inspirer de l'excellence marocaine

Le modèle marocain démontre qu'une vision claire, une gouvernance efficace et des outils innovants sont essentiels au développement touristique. Pour le Sénégal, l'enjeu est maintenant de s'inspirer de ces bonnes pratiques tout en les adaptant à son contexte spécifique. Une réforme profonde de sa politique touristique s'impose pour exploiter pleinement son potentiel.

Feuille de route du tourisme 2023-2026 du Maroc

La Feuille de route du tourisme 2023-2026 du Maroc, officialisée par une convention-cadre signée le 17 mars 2023, vise à transformer le secteur touristique du pays en le plaçant parmi les 15 meilleures destinations mondiales. Avec un budget de 6,1 milliards de dirhams (MMDH), cette initiative a pour objectifs principaux d'attirer 17,5 millions de touristes d'ici 2026, de générer 120 milliards de dirhams (environ 7 200 milliards de FCFA) en recettes en devises et de créer 200 000 nouveaux emplois.

Objectifs stratégiques

Les objectifs spécifiques de cette feuille de route incluent :

- Attirer 17,5 millions de touristes d'ici 2026
- Générer 120 milliards de dirhams en recettes en devises
- Créer 200 000 nouveaux emplois, dont 80 000 directs et 120 000 indirects.

Structure de l'offre touristique

La feuille de route redéfinit l'offre touristique marocaine autour de :

Filières thématiques :

- Océan et vagues
- Nature, trekking et randonnée
- City break
- Plage et soleil
- Aventure dans le désert et les oasis
- Tourisme d'affaires
- Circuits culturels
- Tourisme interne – Bord de mer
- Tourisme interne – Nature et découverte

Filières transverses :

- Gastronomie et produits du terroir
- Festivals et Moussems
- Développement durable
- Artisanat et savoir-faire local
- Hébergement alternatif (responsable et authentique).

Leviers de compétitivité

Pour garantir le succès de cette feuille de route, plusieurs leviers stratégiques ont été identifiés :

1. Renforcement des capacités aériennes
Augmentation des liaisons domestiques et internationales.

2. Promotion et distribution
Développement de partenariats avec des tour-opérateurs mondiaux.

3. Investissement dans l'animation
Stimulation des activités touristiques.

4. Amélioration de l'offre hôtelière
Mise à niveau des infrastructures existantes et création de nouvelles capacités.

5. Renforcement du capital humain
Formation pour améliorer la qualité du service.

6. Observatoire du tourisme
Outil pour le pilotage stratégique.

Vision à long terme

Cette feuille de route s'inscrit dans une vision plus large visant à accueillir 26 millions de touristes d'ici 2030, renforçant ainsi le rôle du tourisme comme moteur clé de l'économie nationale[. Le gouvernement marocain a mis en place une nouvelle gouvernance pour superviser la mise en œuvre de cette stratégie, incluant la création d'une Commission nationale interministerielle du tourisme (CNIT) pour assurer une coordination efficace entre les différents acteurs.

La Feuille de route du tourisme 2023-2026 représente un plan ambitieux pour revitaliser le secteur touristique marocain, axé sur l'expérience client et la diversification des offres tout en promouvant un partenariat public-privé solide.