Le symptôme d'une gouvernance touristique dysfonctionnelle

Le 12 novembre 2024, la Direction de la Promotion Touristique (DPT) du ministère du Tourisme et de l'Artisanat a annoncé l'organisation d'un forum scientifique dans le cadre de la FIDAK 2024, visant à promouvoir le tourisme MICE (Meetings, Incentives, Conferences, Exhibitions), incluant les réunions, les incentives, les conférences et les expositions. Bien que cette annonce puisse paraître anodine en raison de son caractère administratif et de son ambition apparemment constructive pour le développement du secteur, elle met en évidence un dysfonctionnement profond dans la gouvernance du secteur touristique sénégalais, marqué par un chevauchement problématique des compétences entre les institutions publiques, compromettant ainsi l'efficacité des politiques touristiques.

✔ Un cas d'école où les rôles du DPT et de l’ASPT s’entremêlent dans la promotion du MICE

Des missions théoriquement distinctes

Sur le papier, la répartition des rôles est pourtant claire. La Direction de la Promotion Touristique est chargée de l’élaboration et du suivi de la mise en œuvre des politiques de promotion touristique. Ses missions, définies par arrêté ministériel 038667 du 29 décembre 2023, englobent la réalisation d’études, la coordination de la veille stratégique ainsi que le soutien aux initiatives destinées à améliorer l’attractivité. Ces responsabilités relèvent de la conception et du pilotage stratégique et sont également présentées sur le site web officiel du ministère.

De son côté, l'Agence Sénégalaise de Promotion Touristique (ASPT), placée sous la tutelle du ministère du Tourisme, est l'opérateur technique désigné par l'Etat pour traduire les orientations stratégiques en actions concrètes de promotion touristique. Créée par le décret n°2014-245 du 20 février 2014, l'agence est explicitement mandatée pour promouvoir le tourisme, renforcer l'attractivité de la destination sénégalaise et développer les produits touristiques, en collaboration étroite avec les acteurs publics et privés du secteur.

Une réalité terrain en contradiction avec les textes

L'examen des activités récentes autour du tourisme MICE illustre parfaitement cette confusion des rôles. Depuis 2021, l'ASPT a été particulièrement active dans ce domaine, notamment à travers plusieurs initiatives :

• Etudes de faisabilité et consultations des acteurs (2021)

• Partenariat avec le CICES pour la FIDAK (2023)

• Ateliers de restitution et d'appropriation avec le secteur privé (2023)

• Mission exploratoire en Afrique du Sud (2024)

• Participation au salon IMEX de Francfort (2024)

• Collaboration stratégique avec la SOGIP (2024)

Dans ce contexte, la décision de la DPT d'organiser un forum MICE apparaît comme une ingérence dans le domaine opérationnel de l'ASPT, accentuant la confusion pour les acteurs du secteur et risquant de dupliquer des efforts déjà entrepris.

 Un dysfonctionnement systémique plus large

Cette confusion des rôles n'est pas un cas isolé. L'analyse des activités de la DPT ces dernières années révèle de nombreux exemples où la direction s'est engagée dans des actions opérationnelles de promotion qui relèvent théoriquement des missions de l'ASPT :

• Organisation d'un Hackathon sur le tourisme (2019)

• Lancement de saisons touristiques à Cap Skirring (2022)

• Accueil de bateaux de croisière (2022)

• Randonnées promotionnelles - Nū deem Ndar (2023)

• Participation à des foires internationales (2023)

Ces interventions directes dans le domaine opérationnel ont plusieurs conséquences préoccupantes :

• Dilution des responsabilités entre les institutions

• Message confus envoyé aux partenaires

• Utilisation inefficace des ressources publiques

• Risque de contradiction dans les actions menées

Ce forum scientifique visant à promouvoir le MICE semble destiné à suivre la voie des initiatives précédentes, comme le Forum de Dakar sur "Tourisme, industries créatives, infrastructures, au défi de la digitalisation et du développement durable" (2019) ou le Forum National sur le Tourisme Religieux (2023), aujourd’hui largement tombés dans l’oubli. L'absence d'un véritable centre de pilotage stratégique de la promotion de la destination Sénégal et de mécanismes de suivi-évaluation au sein du ministère condamne d'avance toutes initiatives de ce genre à rester de simples événements sans lendemain.

La situation actuelle est d'autant plus préoccupante que la Direction de la Promotion Touristique peine déjà à remplir sa mission première. Enlisée dans des approches promotionnelles dépassées et stéréotypées, héritées de pratiques qui perdurent depuis des décennies, elle se montre incapable de concevoir des stratégies de promotion novatrices et efficaces, et d'en assurer la mise en œuvre par l'ASPT. Ce manque de dynamisme se reflète dans la spirale déclinante d'un secteur touristique qui ne cesse de s'effriter au fil des ans, incapable de relever les défis actuels.

Ce constat est aggravé par l'absence d'outils d'évaluation, tant au niveau de la DPT qu'au sein de l'ASPT, rendant impossible la mesure de l’impact réel des politiques de promotion en place. Dans ce contexte, l'organisation d'un tel forum par la DPT apparaît davantage comme une opération de communication opportuniste que d'une initiative pertinente. Cette démarche, qui sort clairement de son périmètre de compétences, risque de n'être qu'un exercice de visibilité institutionnelle sans réel suivi ni continuité.

 Pour une refonte de la gouvernance touristique sénégalaise

Les dysfonctionnements institutionnels révélés à travers cette analyse du cas MICE et des activités de promotion touristique appellent une réforme en profondeur de la gouvernance touristique au Sénégal.

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 Vers une gouvernance touristique repensée et efficiente

La confusion des rôles entre la DPT et l'ASPT, ou encore entre la Direction des Investissements et des Aménagements Touristiques (DIAT) du ministère du Tourisme et la Société d'Aménagement et de Promotion des Côtes et Zones Touristiques du Sénégal (SAPCO-Sénégal), placée sous la tutelle dudit ministère, reflète un problème plus vaste de dysfonctionnements institutionnels.

La solution ne réside pas dans des ajustements marginaux mais dans une transformation du modèle de gouvernance. Une décentralisation, combinée à une simplification drastique du paysage institutionnel, permettrait de créer un cadre plus efficace et mieux adapté aux réalités locales.

L'enjeu est de taille puisqu’il consiste à libérer le potentiel touristique du Sénégal en créant un environnement institutionnel favorable à la créativité et à l'initiative privée. Les dysfonctionnements actuels ne peuvent plus être ignorés. Le moment est venu d’agir pour une gouvernance touristique réinventée, capable d’accompagner durablement le développement du secteur.